La blockchain Steem (1/2)

 

Les gros acteurs de l’Internet (Facebook, Google, Twitter… ) collectent chaque année des milliards de dollars grâce au contenu créé gratuitement par leurs utilisateurs en échange du service proposé. La richesse de ces sites repose surtout sur le temps passé par les internautes à créer du contenu. Bien sûr, l’accord entre les parties est gravé dans les conditions générales d’utilisation et de ce fait il est obligatoire de céder la propriété et/ou les droits du contenu produit.  L’argent va principalement aux actionnaires pour des services assez banals qui ne s’appuient pas sur des technologies de pointe (à l’exception de rares cas comme Google Street).


A titre d’exemple, le groupe d’investissement Elevation Partners, qui compte parmi ses six associés le chanteur de U2, Bono Vox, avait acheté en 2009 les 2,3% des actions de Facebook pour une somme de 56 millions de livres sterling. En août 2015, ces actions valaient 1.3 milliards d’euros…

Afficher l'image d'origineDes alternatives collaboratives se fraient un chemin: le facteur clé dans la participation à une communauté devrait être un système comptable correct et transparent qui reflète la contribution de chaque personne. En 2014, Reddit a formulé une hypothèse novatrice: sa plateforme serait bien meilleure si le monde qui contribue à reddit.com en postant des articles, des commentaires ou en votant était récompensé avec une participation à Reddit, Inc.

En 2016, Steem fait son apparition: une blockchain qui combine les concepts de médias sociaux et de cryptocurrencies et change la manière d’appartenir à un réseau social grâce à la redistribution d’une grande partie de la valeur produite collectivement aux gens qui fournissent les contributions. L’idée a été décrite en mars 2016 dans un whitepaper que nous résumons dans cet article.

Les membres peuvent upvoter le contenu qu’ils jugent bon. Les auteurs upvoted reçoivent de leur côté une récompense monétaire dans la cryptocurrency Steem et deux autres jetons nommés Dollars Steem (SMD) et Steem power (SP).  Steem devient ainsi la première cryptocurrency qui récompense ouvertement ses acteurs selon les règles de smart contracts internes à sa blockchain.  La monnaie est semblable au Bitcoin: elle utilise la proof-of-work comme mécanisme de consensus et d’émission. Cependant, la récompense qui va aux mineurs est seulement une petite partie du montant créé à chaque bloc, le reste étant versé aux auteurs et aux curators.

Le concept général est semblable à celui d’autres sites blog (notamment Reddit). Toutefois, dans steem, seul le contenu de texte est sauvé dans une blockchain. Les images et le contenu multimédia doivent être récupérés via d’autres sites Web (décentralisés ou pas).

Quelques principes clés ont guidé la conception de Steem.

Le plus important est que ceux qui contribuent reçoivent une propriété au prorata, des bénéfices et éventuellement se chargent de la dette de l’entreprise (un principe qui s’applique depuis toujours  aux start-up).

Le deuxième principe est que toutes les formes de capital sont les bienvenues et ont la même valeur: ceux qui contribuent dans leur temps libre à la production du contenu sont autant valorisés que ceux qui contribuent en plaçant leur argent. Un concept connu comme Sweat Equity que les autres cryptocurrencies ont du mal à fournir à plus que quelques douzaines d’individus.

Le troisième principe est que la communauté produit pour servir avant tous ses membres. Ce critère est le même que celui des coopératives de crédit ou agricoles… qui font de la vente/achat entre membres de la communauté plutôt qu’à l’extérieur.

La communauté Steem fournit les services suivants à ses membres :

1. Une source de news organisées et commentées
2. Un moyen pour obtenir des réponses de haute qualité à des questions personnalisées.
3. Une cryptocurrency stable adossée au dollar américain.
4. Des paiements gratuits (sans commission).
5. Des emplois pour fournir ces services à d’autres membres.

Steem est conçu selon une logique bottom-up (de la base) avec l’idée de baisser le plus possible les barrières à l’adoption. Pour Steem, les mêmes facteurs qui ont fait grandir les grandes plateformes web sociales peuvent faire croître une nouvelle cryptocurrency sociale. C’est la synergie entre cryptocurrency et médias sociaux qui fait la spécificité de Steem.

Steem ne réaligne pas seulement les incitations économiques des réseaux sociaux pour des résultats plus justes pour les contributeurs mais introduit aussi  des nouveautés techniques intéressantes par rapport aux blockchain qui existaient avant elle.

 

Le premier défi technique est de trouver un algorithme pour attribuer des points à des contributions subjectives et qui soit considéré par l’ensemble des intervenants assez juste et neutre. Cet algorithme se doit d’être résistant aux attaques et aux tentatives de manipulation pour le détournement des profits. Une faille dans le système de scoring serait immédiatement suivie d’une perte de confiance dans le système.

La solution de base normalement utilisée par les sites

un-utilisateur = un-vote

laisse la porte ouverte à de nombreuses dérives (attaque sybil). C’est pourquoi Steem utilise une autre technique.

L’unité de base de la plateforme est son jeton cryptographique: STEEM. Chaque compte détient des STEEM et Steem raisonne selon la règle:

un-STEEM = un-vote

ainsi, les acteurs qui ont le plus contribué (c-à-d ceux qui ont plus de STEEM sur leur compte) ont plus d’influence sur la manière d’attribuer des points aux différentes contributions.

Mais la logique va plus loin: Steem permet à ses membres de voter avec des STEEM seulement s’ils sont engagés dans une sorte de plan d’investissement à long terme (au moins deux ans). Suivant ce modèle, les membres sont financièrement incités à voter de manière à maximiser la valeur à long terme de leurs STEEM.

Il faut un système capable d’identifier et classer les contributions en estimant leur valeur relative, un système qui s’adapte aussi en scaling à un nombre de personnes potentiellement illimité. Un système qui a fait ses preuves pour une telle évaluation est le marché libre et toutefois le marché libre n’est pas idéal: la plupart des contributions ont très peu de valeur et seraient difficiles à prendre en compte. C’est la raison pour laquelle beaucoup de sites web avec micropaiements par contenu n’ont jamais décollé. 

Steem est conçu pour permettre des micropaiements efficaces. Pour cela, l’équation économique est modifiée: les lecteurs ne doivent plus décider si payer de leur poche pour lire un contenu mais ils votent pour ou contre un article. Steem utilise la somme de ces votes pour rémunérer les auteurs.

 pour_contreIl y a toutefois d’autres formes de contribution que Steem reconnaît et récompense en utilisant une métrique objective: la validation de transaction, le mining par proof-of-work, la récompense en liquidités et le fait de dénoncer les producteurs de blocs qui fraudent.

Modes de contribution 1 – contribution en capital

Une communauté peut attirer le capital de deux manières: la dette et la propriété. Ceux qui achètent une propriété gagnent lorsque la communauté grandit et perdent si la communauté diminue. Ceux qui achètent de la dette gagnent des intérêts régulièrement mais ne participent pas aux profits réalisés par la croissance de la communauté. Les deux types de contributions capitales servent à la croissance de la communauté et à la valorisation de sa monnaie. De plus, il y a deux façons de détenir une propriété: en liquide ou comme investissement. Le fait d’investir en une propriété steem fait d’elle un engagement à long terme: elle ne peut plus être vendue avant une période minimale.

Dans Steem, on distingue trois classes d’actifs: Steem (STEEM), Steem Power (SP) et  Steem Dollars (SMD).

1 – Les STEEM sont l’unité de base des comptes et servent d’étalon pour définir la valeur des autres jetons. Ils ne devraient être possédés qu’à court terme. Pour entrer/sortir de la plateforme, il faudra bien acheter/vendre des STEEM, mais une fois à l’intérieur ils doivent être convertis au plus vite en SP ou SMD afin de minimiser l’impact de la dilution à long terme.  Steem a un modèle de provision inflationniste: chaque année la base monétaire double, mais tous les trois ans et demi la récompense de Steem par bloc est baissée de 1/10ème.  Puisque l’émission de steem augmente sans cesse (+100% par an), posséder des STEEM purs signifie être dilué de 0.19% par jour.

Il y a un échange intégré dans le site Web de Steemit où on peut négocier directement des STEEM.

2 – Tout comme une start-up demande de bloquer du capital sur le long terme, steem demande un engagement dans le temps avec les Steem Power (SP). Savoir le capital bloqué permet à la startup de faire des plans à long terme.

Dans le monde des cryptocurrency où les spéculateurs passent d’une monnaie à l’autre sur la base des gains attendus à court terme, Steem souhaite faire contrôler la plateforme par ceux qui ont une vision à long terme de leur investissement.

Le SP peut être vu comme est un jeton de pouvoir et représente grossièrement le pourcentage d’influence qu’un utilisateur a, comparé au reste de la communauté, mesuré en Steem.  Pour récompenser les membres, 9 unités de SP sont distribuées au prorata par unité de Steem créé. Ceci décourage la posséssion sur le long terme de STEEMs et protège les détenteurs de la dilution. Les SP étant non transférables et non divisibles ne se prêtent pas facilement aux échanges en trading.

On ne peut reconvertir des SP en STEEM que très lentement: sur une durée de 2 ans via 104 paiements hebdomadaires identiques. La blockchain ajoute automatiquement des STEEM à chaque bloc. À tout moment les utilisateurs peuvent convertir leur STEEM en SP. De même, chaque fois, des SP sont reconvertis en STEEM au prix du marché. L’investisseur est sûr d’avoir plus de STEEM dans l’avenir qu’il n’en avait quand il avait fait la conversion STEEMs->SP.

Venons au noeud de la question: il faut avoir des SP afin de pouvoir voter pour ou contre un contenu. Plus un membre a de SP,  plus haut est l’impact de ses votes sur le contenu. Cela signifie que les SP sont le jeton d’accès au pouvoir dans la plateforme. 

Le transfert de STEEM à SP est dit powering-up tandis que le transfert de SP à Steem est dit powering-down.  

3 – Les Steem Dollars (SMD) ont été conçus pour apporter de la stabilité au monde de cryptocurrency et aux individus qui utilisent le réseau Steem. Ils sont créés par un mécanisme semblable aux notes convertibles, souvent utilisées pour financer les start-up. Il s’agit d’instruments de dettes à court terme qui peuvent être convertis en propriété dans l’avenir à un taux déterminé. Un jeton blockchain peut être vu comme un titre de propriété dans la communauté tandis qu’une note convertible comme une dette émise dans une autre monnaie (ici le dollar).

La création de SMD exige une combinaison de trois facteurs :

  • une source de prix fiable
  • des règles pour empêcher les abus
  • de la liquidité

Avoir une source de prix fiable implique à son tour trois facteurs:

  • la minimisation de l’impact d’une éventuelle information incorrecte
  • la maximisation du coût nécessaire à produire une information sur le prix incorrect
  • la minimisation de l’importance du timing.

Les SMD sont côtés sur les cryptomarchés majeurs et se veulent étalonnés sur le dollar des États-Unis .

Un utilisateur possédant des SMD peut les convertir en Steem dans un processus qui dure approximativement une semaine, ou il peut les garder dans son portefeuille Web. Détenir des SMD est récompensé par des intérêts de 10 % par an. Si toutefois les SMD viennent à dépasser la valeur du dollar américain, les paiements de ces intérêts sont interrompus.

Vous trouverez ici une calculette pratique pour les conversions SMD/STEEM/USD/BTC.

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Modes de contribution 2 – contributions subjectives

On peut s’impliquer dans une crypto-communauté de deux manières: en achetant des coins ou en travaillant pour la plateforme. Dans les deux cas, les utilisateurs ajoutent de la valeur à la monnaie. Clairement, la grande majorité des gens a plus de temps libre que d’argent disponible, c’est pourquoi il est intéressant d’amorcer une monnaie dans une communauté « pauvre » afin de monétiser (sans tiers de confiance) le temps. Les gens pourraient gagner de l’argent via un échange mutuel facilité par une comptabilité juste et le système de monnaie sous-jacent.

Distribuer une monnaie à autant de personnes de manière juste en échange d’un travail  hétérogène et subjectif est une tâche complexe. Les tâches qui peuvent être entièrement évaluées par un algorithme informatique objectif sont limitées.

Ce problème existe déjà en partie dans les autres cryptomonnaies: comment rémunérer les développeurs qui s’impliquent dans bitcoin, decred… ? La tâche est déjà ardue bien qu’on puisse mesurer du code informatique automatiquement. Quid de l’évaluation d’un article, d’un tableau ou d’une autre oeuvre de l’esprit similaire ?

C’est ici qu’entre en jeu la proof-of-work subjective, comme approche alternative à la distribution d’une monnaie via le mining par proof-of-work objective.

De toute évidence, les applications qui peuvent utiliser une crypto-monnaie basée sur la preuve subjective de travail sont beaucoup plus larges parce qu’elles peuvent être appliquées pour construire une communauté autour de n’importe quel concept ayant un but suffisamment défini. En effet, les critères d’évaluation du travail sont subjectifs et leur définition se trouve  à l’extérieur du code source. Une communauté peut vouloir récompenser des artistes, des poètes, des comiques… D’autres communautés peuvent vouloir récompenser des causes caritatives, des idées politiques… La preuve subjective de travail permet à une communauté de financer collectivement le développement de ce qu’elle estime avoir le plus de valeur et permet la monétisation du temps, contrairement à la contrepartie objective.

Il faut noter aussi que le mining par proof-of-work objective peut aboutir à la production de matériel spécialisé (ASICS). Dans ce cas, le mining devient une nouvelle façon d’acheter de la cryptomonnaie qui exige juste une étape de plus: qu’on paye d’abord une  facture pour le matériel plus les frais d’électricité avant d’avoir de la cryptomonnaie dans son portefeuille.

Chose plus importante encore, la proof-of-work objective tend à exclure beaucoup de monde puisque seuls des experts sont à l’aise dans la participation à cette sorte de distribution.

Pour donner la même chance à tout le monde et baisser ainsi la barrière d’entrée à la communauté, on doit impliquer les gens en demandant un travail assez commun à la portée de beaucoup.

Le défi devient alors de juger la qualité relative et la quantité de travail que les individus fournissent de façon à répartir efficacement la récompense entre des millions d’utilisateurs potentiels. Ceci exige l’introduction d’un processus de vote évolutif. En particulier que l’autorité qui répartit les fonds soit aussi distribuée et décentralisée que possible.

La manière basique de faire une répartition est la distribution d’un montant fixe de monnaie indépendamment de la quantité et la qualité du travail fourni (ex 100 microBTC par article). Cela change la question « devons-nous payer ? » en « Qui devons-nous payer ? »  Ceci est semblable à l’émission Bitcoin qui accorde 25 BTC à quiconque trouve la solution cryptographique en premier. 

La manière intelligente se doit au contraire de récompenser tous ceux qui font quelque chose de positif pour la communauté. Ceci demande de classer en amont le travail de tout le monde et de savoir le redistribuer proportionnellement à sa valeur. Plus le marché devient compétitif, plus il devient difficile de fournir une qualité assez haute pour gagner les mêmes sommes.

Pour comprendre ce deuxième point, il faut connaître la logique derrière le système de vote de steem. Cela sera l’objet de la deuxième partie dans quelques jours .

En attendant, vous pouvez visiter steemit, si ce n’est déjà  fait, en ligne en version beta.  Notamment cet article : un plugin pourrait faire le pont entre wordpress et steemit.

 

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