Blockchain: les banques se cherchent toujours

 

L’arrivée du PC a décentralisé le computing et l’information. Si dans les années 70 les mainframes localisaient en très peu d’endroits le peu de calcul qu’on pouvait se permettre, l’arrivée des PC a distribué la puissance de calcul sur nos bureaux.

L’arrivée de l’Internet a ensuite décentralisé l’information. Elle rebondit aujourd’hui entre des milliers de sites différents (sociaux, blog…) produite par monsieur Tout le Monde, tout comme par des pros de la presse classique.

De la même manière, l’arrivée des crypto-monnaies blockchain est en train de décentraliser l’Economie.

Cela se passe via quelques points clés:

  • libre échange de valeurs (peer-2-peer, trans-border et souvent plus rapides)
  • création de nouvelle valeur (tokenisation)
  • recadrage des activités intermédiaires
  • l’économie liquide devient une réalité
  • plus de puissance (et donc de responsabilité) donnée à l’individu
  • sécurité et transparence garanties par les protocoles

Le magazine Fortune avait prédit en 2015 qu’avec la blockchain, les banques allaient vivre les mêmes vicissitudes que les majors de la musique face au peer-2-peer.

Mais comment réagissent les banques face à une disruption annoncée qui, lentement mais surement, devient plus en plus ancrée?

De manière très différente d’une banque à l’autre, ce qui laisse deviner que le sujet n’est pas encore bien cadré, voire maîtrisé en interne (en visibilité, avant que sur les aspects techniques).


Première réaction: l’opposition totale

Récemment, une de mes connaissances a passé un entretien dans une grosse banque européenne pour un poste blockchain.

Pendant la préparation au RV, le chasseur de têtes lui a demandé de « …ne pas nommer le bitcoin en entretien parce que cela peut être rédhibitoire pour l’obtention du poste. Ils n’aiment pas… mieux vaut éviter » .

Ce n’est pas un cas isolé: Andreas Antonopoulos  a vécu une situation similaire ici  (minute 8:15) lorsqu’une personne lui a dit:  » J’ai travaillé un an dans la blockchain (sans doute un DLT privé) et je viens juste de découvrir le bitcoin. Je suis tellement excité… « 

Qu’est-ce qu’une banque peut bien reprocher au BTC ?  Sans doute

  1. l’anonymat des transactions
  2. l’absence de KYC, AML
  3. l’émission d’argent non réglementé (et pourtant infiniment plus stable et prévisible que la planche à billets)

Etonnamment, ces points, s’ils détournent certaines banques du bitcoin, en rapprochent d’autres de très près.

Deuxième réaction: l’adhésion totale

Ironie du sort, cet épisode s’est produit la semaine où se tenait le Consensus 2017. Pendant cette grande réunion blockchain mondiale, Zooko Wilcox (fondateur de Z-Cash) a annoncé un nouveau partenariat avec rien de moins que … la J.P. Morgan!

L’annonce a été donnée en direct on stage par Zooko le 22 mai 2017 et le cours de Z-Cash est passé dans la journée de 128$ à un pic de 278$:  +217%.

Le marché (qu’on dit par définition avoir toujours raison) a salué cet accord inattendu, cette rencontre entre deux mondes que tout semble opposer.

Pourtant, étant l’une des rares crypto-monnaies opaques (non seulement pseudonyme mais aussi non-traçable) Z-Cash devrait faire peur aux banques bien plus que le bitcoin! Autrement dit, ce qu’une banque peut reprocher au BTC (les trois points ci-dessus) z-CASH le développe à l’énième puissance.

Cela n’a pas empêché ce mariage inédit entre la plus opaque des cryptos (ou presque) et une des deux plus grandes banques au monde. Comment expliquer qu’ailleurs on ne puisse pas tolérer le mot bitcoin, ne serait-ce que dans un petit entretien?

Cette manière radicalement différente d’affronter la même situation est déjà à mes yeux un signe précurseur éloquent.

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Un autre exemple de confusion qui règne autour du bitcoin dans les banques se trouve à mon sens dans les récentes déclarations du directeur de la banque centrale allemande: Jens Wiedmann.

Après avoir affirmé que la digitalisation de la finance est le défi le plus important auquel les banques centrales doivent faire face, Wiedmann a proposé une solution pour contrer l’éclosion des cryptomonnaies.

« Mon point de vue personnel est que les banques centrales devraient s’efforcer de rendre les systèmes de paiement existants plus efficaces et encore plus rapides qu’ils ne l’étaient déjà: le paiement instantané est le mot-clé ici. Je suis assez confiant pour que cela réduise l’intérêt de la plupart des citoyens pour les (crypto) devises numériques. »

Borner l’intérêt pour le bitcoin (et les autres altcoins) à la seule vitesse d’exécution des paiements est simpliste. De la sorte, on risque de passer à côté de l’essentiel.

D’abord le BTC n’est pas si rapide que ça: 10 minutes, quand tout va bien avec des pics de plusieurs heures lorsque le réseau est saturé (si par rapport aux virements cross-border le bitcoin reste une flèche, c’est l’inverse face aux CB).

Deuxièmement, si le seul intérêt du BTC était la vitesse, celui-ci se serait déjà fait dépasser par au moins deux blockchain (Ripple et Stellar) qui techniquement peuvent faire circuler l’argent FIAT dans le monde avec des temps de clearing et settlement de l’ordre de 4/5 secondes.

Troisièmement, le principal intérêt du BTC face aux banques réside dans dans la possibilité d’échanger de la valeur sans intermédiaires et sans frontières. Cette qualité est au moins d’un ordre de grandeur plus important que la vitesse du transfert.

Ensuite, il y a le mécanisme de création d’argent qui pour le BTC est d’une extrême régularité. Elle dépasse même celle de l’or faisant de lui l’asset le plus stable de l’histoire. A comparer avec la planche à billets, outil magique qui fait que artificiellement (et dogmatiquement) une banque centrale ne puisse jamais devenir insolvable. Ironie du sort, Wiedmann s’est exprimé à Francfort dans un discours sur le programme …d’assouplissement quantitatif QE (a.k.a planche à billets)

Pour paraphraser une expression de Ethan Buchman (Tendermint), la blockchain ramène d’une certaine manière la notion d’étalon or dans la finance, et donc in-fine dans la société. Cependant, il n’y a rien de plus étrange à une banque centrale que la notion d’un étalon qui serve à mesurer et surtout à réguler l’argent émis.

 

Petite anecdote. De retour de son voyage en Chine, l’explorateur italien Marco Polo dut décrire au doge de Venise l’économie chinoise.

« Vous savez sire, le Grand Impereur ne s’embête pas avec les métaux précieux (or ou argent) comme nous faisons ici ou à Florence. Il a décidé par décret que les glands qui tombent dans son jardin royal sont des pièces de monnaie. Lorsqu’il a besoin d’assouplir ou de resserrer, il retire ou il insère des glands dans le circuit »

Hélas tout comme l’Impereur, les banques centrales se sont depuis longtemps auto-coupées des mécanismes de régulation par l’or. Le bitcoin les ramène sur la table d’autorité, lui étant en tout semblable (mis à part le fait qu’il reste un bien digital).

Autant dire que le dialogue banques/bitcoin s’annonce entre sourds.

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Autre exemple: le consortium R3 a affirmé qu’il veut écrire le système d’exploitation de la finance via la blockchain. Il voulait dire via un DLT privé, géré en mode co-propriété, mais on a compris le sens de leur énoncé.

La blockchain Waves vient d’ouvrir ses gateways USD et EUR, bitshares/openledger avance bien et est de plus en plus connu, l’infrastructure de NEM est déjà opérationnelle, LiteCoin a intégré SegWit et montré la route de la scalability au bitcoin, Melonport pointe du nez avec son protocole d’échange cross-blockchains, DFinity (Phi) veut toujours émettre de l’argent frais via blockchain en guise de banque centrale, Monaco a sorti sa carte de crédit en partenariat avec Visa qui accepte des BTC, des ETH et les plus importants tokens du standard ERC20, Ethereum va devoir intégrer un nombre de transactions de plus en plus importants (victime de son succès) et fait des émules, dernier en date AntShares, la première blockchain chinoise qui se veut aussi une place de marchés, Stellar met à disposition de la planète l’infrastructure, libre et open-source, nécessaire pour des paiement éclair partout dans le monde à coût pratiquement zéro, EOS arrive avec son système d’exploitation décentralisé blockchain-based…

J’ai vraiment l’impression que l’OS de la finance est en train de prendre forme… surtout à l’extérieur du circuit bancaire. En tous cas, c’est dehors que se passent les choses le plus innovantes.

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Reste à prouver le sérieux des crypto-tokens.

Pour cela, il devrait suffire d’examiner leurs capitalisations: aujourd’hui, 22 juin 2017, le top 5 des cryptos

bitcoin       42 milliards
ethereum   26 milliards
ripple         14 milliards
litecoin       2 milliards
ethereum  classic   2 milliards

vaut 86 milliards de $, presque autant que   (89).

Comment dit-on déjà quand il s’agit des banques ?

Ah oui:  too big to fail.

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Si on élargit au top 10, en éliminant toutes les autres blockchain, ce groupe suffirait pour assurer à la planète la plupart des services des banques actuelles. Ca prendrait un peu de temps mais techniquement le top 10 en a d’ores et déjà la capacité.

Pour finir, je vous laisse avec cette perle d’Andreas Antonopolous sur les relations banque/bitcoin, très instructif comme d’habitude et aussi très vrai.

Tout est dit je crois, dans cette vidéo qui pourrait très bien devenir une milestone dans l’histoire des blockchain. A revoir dans 5/10 ans pour voir à quel point Andreas aura eu raison.

 

 

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