TheDAO et la question de la gouvernance

 

Au cours des dernières semaines, le succès de la levée de fonds TheDAO a dominé l’espace blockchain. Environ 10.000 personnes ont versé de manière anonyme ~168 millions de $ en faisant du TheDAO le projet le plus crowdfunded de tous les temps.

Le moment est maintenant venu pour ces actionnaires, de voter dans cette nouvelle forme de société d’investissement à la gouvernance distribuée. Le DAO est décrit en tant que société anonyme d’investisseurs qui opèrent démocratiquement sur des décisions stratégiques, budgétaires… derrière un protocole qui automatise, arbitre et certifie l’ensemble du processus.

En se basant massivement sur la technologie blockchain, TheDAO donne le pouvoir et le contrôle aux participants au lieu de le concentrer dans les mains d’une poignée d’acteurs, d’un état ou d’une multinationale. Le groupe d’investisseurs est probablement loin d’être homogène, ayant des intérêts et des goûts variés pour le risque, ainsi que diverses connaissances et maîtrises du domaine… et pourtant la confiance est placée dans le collectif.

Une société numérique sans entité juridique, entièrement décentralisée et dirigée par la communauté est certainement une expérience innovante. Un DAO exploité par des serveurs à travers le monde existe de manière trans-nationale et sans frontières. Une fois lancé, il est très difficile de l’arrêter tout comme le bitcoin. Une organisation sans autorité et sans frontières est sans doute la quintessence de l’entreprise décentralisée. Mais peut-elle vraiment fonctionner ?  N’a-t-elle pas de contre-indications de fond qui la rendent concrètement inexploitable?

Une entreprise peut-elle vivre sans chef de direction, sans un noyau exécutif pour guider le navire, pour redynamiser le contexte dans des phases plateau ou de ralentissement? Le leadership est-il encore un ingrédient de base pour la réussite de l’entreprise?

Le fait que la nouvelle manière de communiquer en toute assurance et en p2p supprime la nécessité d’une gestion globale forte est une pensée idéaliste qui doit sans doute encore faire ses preuves dans le monde réel. Le business est fait de creux et de pics et c’est souvent la rapidité d’exécution d’un chef, prenant sur lui toutes les responsabilités, qui mène à un succès ou évite le pire.

Un système décentralisé est forcément progressif en terme de gouvernance et son inertie dans les prises de décisions pourrait faire de ce modèle l’appareil le moins efficace pour une direction profitable. Il est tout à fait possible que ces prises de décisions souffrent chroniquement d’une faible participation aux votes, par manque de temps et d’énergie de la part des votants pour examiner les propositions.

Il me semble que la question centrale réside dans le fait que la gouvernance ne peut pas être séparée de la performance. La manière de mener un business est directement liée aux résultats.

Dans ce contexte, deux événements assument une signification particulière:

1) Quelques heures avant la date limite d’investissement dans le projet TheDAO, un groupe de chercheurs en informatique a décrit les lacunes fondamentales du DAO. Ce groupe a appelé à un moratoire sur les emplacements et TheDAO est maintenant dans l’attente que la communauté décide si ces défauts existent et comment les corriger.

2) Anthony Di Iorio, un des membres fondateurs de l’équipe qui a construit Ethereum, a dit publiquement qu’il n’avait pas l’ intention de convertir sa propre entreprise, Decentral , dans le DAO:  « Je pense que cette structure est très audacieuse et ce n’est pas quelque chose que je ferai avec ma compagnie. Je crois en fait dans le leadership. Je crois que l’on a besoin de prendre des décisions rapides. »

Outre ses préoccupations juridiques et réglementaires sur le modèle, Di Iorio croit que les entreprises sont faites de personnes qui travaillent ensemble au même endroit.  « Je pense que travailler dans une pièce est très important. Travailler tous en même temps est très important, nous sommes extrêmement efficaces et nous avons montré que nous pouvons créer des produits. »

Malgré son scepticisme, Di Iorio considère quand même l’idée fantastique.  Une société autonome peer-to-peer peut être facilitée par les technologies d’aujourd’hui, mais cela ne signifie pas qu’elles doivent être incorporées dans tous les cas d’utilisation ni que l’idée soit viable et efficace du premier coup.

En effet, aujourd’hui le DAO a d’autres problèmes. Par exemple, il n’encourage pas un vote propre lorsque de nouvelles idées sont lancées. Quand un projet fait surface, il demande un certain montant en fonds et promet un certain retour aux participants. Les membres de la communauté peuvent voter:

.oui   –      non    –    s’abstenir

Plus vous investissez d’argent, plus vos votes ont du poids. L’ennui est que le vote sur un projet gèle les fonds dont vous disposez dans le DAO même si vous votez non. Vous ne pouvez pas retirer de fonds pendant qu’un vote est en cours, et si les électeurs approuvent un projet, c’est là que vos fonds vont aller comme si vous aviez voté oui. Si l’on ne croit pas en un projet, mieux vaut donc s’abstenir plutôt que de voter non.

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Par conséquent, TheDAO est biaisé vers le financement et ce biais structurel génère un risque de détournement de votes. Un bloc d’investisseurs solidaires suffisamment grand peut profiter de cette réticence au non en votant oui au dernier moment pour consolider une proposition qui lui est favorable. Ainsi, les détenteurs DAO peuvent se mobiliser pour en exploiter d’autres via des propositions qui visent par exemple à se faire payer par le DAO. Parmi les détenteurs de jetons DAO, il y a déjà de gros poissons comme un acteur qui a investi 888.888 ethers. Cet investisseur commande à lui seul 7.7 % de tous les votes DAO. Pour une proposition qui exige seulement un quorum de 20 %, cet investisseur aurait déjà 77 % du oui des votes pour la faire passer. Et comme personne ne vote non

De telles attaques sont très difficiles à détecter parce qu’ils partent dans les dernières minutes et ne laissent pas assez de temps aux autres investisseurs DAO pour retirer leurs fonds.

Ce souci n’est qu’un aspect de la centralisation du TheDAO. Les investissements pendant la phase de crowdfunding sont arrivés d’environ 22.500 adresses internet différentes (mais les mêmes personnes ont pu utiliser des adresses multiples). Selon les organisateurs, environ 10 000 investisseurs individuels ont contribué au projet. Hélas, peu d’acteurs ont déjà mis les mains sur un gros morceau du projet: la moitié de 168 millions de $ provient de 70 adresses seulement.

70 adresses sur 22 500 possèdent 50% des jetons, c’est le 0.31%. Comment ne pas faire le rapprochement avec les soucis de centralisation du bitcoin et les pools de mining chinois ?

Ainsi, si le système de droits de vote du DAO est en théorie largement dispersé, dans la pratique on ne peut pas éviter que celui qui est prêt à dépenser plus puisse centraliser un pouvoir. Cela ne semble pas le moyen le plus efficace pour diriger une entreprise… décentralisée.

Last but not least, il est difficile de définir le statut du DAO d’un point de vue légal du fait que ses opérations sont régies pour l’essentiel par du code informatique. Résultat: aujourd’hui le DAO pourrait être carrément illégal.

Le DAO négocie des titres pour lesquels il n’a pas reçu l’approbation nécessaire d’organismes de réglementation nationale. Le risque est que le législateur attache de la responsabilité à toute personne impliquée. Cette responsabilité pourrait ne pas être limitée à Stephane Tual ou au cercle plus ou moins strict des créateurs du DAO, mais s’étendre aux développeurs et même aux investisseurs.

Les créateurs soutiennent que les parts dans un DAO ne sont pas des titres au sens légal du terme. De plus, il faudrait déjà définir si un jeton DAO (ether) est ou non l’équivalent d’une monnaie courante dans la vie réelle.

Quoi qu’il en soit, cette incertitude légale pourrait empêcher ou limiter la diffusion du concept.. Comme beaucoup d’autres systèmes d’auto-organisation, le DAO n’est pas encore bien structuré.

***

Mon sentiment est que tout va trop vite.

De là où l’on voit les choses, les investisseurs, les décideurs, les directions d’entreprises (même techniques) … ont encore beaucoup de mal à comprendre la blockchain.

slowdown

Le monde du business, mais aussi de manière plus générale notre société, n’a pas encore digéré le bitcoin et on lui parle déjà d’applications propriétaires basées sur les smart contracts d’Ethereum, on lui promet des Dapps open source sans structures juridiques capables d’ubériser des secteurs entiers mais qui en même temps vont vite se faire dépasser par des DAO autonomes, et qui ont pour vocation de robotiser le monde.

Cerise sur le gâteau, on veut que TheDAO (la mère de toutes les DAO) marche tout de suite afin de robotiser même le financement et la création des autres DAO.

Que les défenseurs du TheDAO ne m’en veuillent pas, à mon humble avis tout va vraiment beaucoup trop vite coté DAO.

 

3 réflexions au sujet de « TheDAO et la question de la gouvernance »

  1. Très bonne analyse de David, comme toujours !!. -;)
    M’étant spécialisé dans l’analyse des mimétismes potentiels d’intelligence collective entre la société des abeilles et les polycellules numériques, le sujet est passionnant !
    La notion de « slow down » est une réaction de protection humaine, mais pour un hyper-organisme cette notion est plus complexe, on parlera de la « fièvre » de l’essaimage par exemple, impossible à contrôler (code ADN) où à réguler…
    Pour ma part il me semble que le leadership de the DAO est visible pour les « butineurs de The DAO » par la com’ (plutôt impactante sans budget pour l’heure) de S.tual et ses compères de slock.it, etc..:
    https://www.youtube.com/watch?v=1iFA_3aXi_A
    Pour une butineuse (avide de « butin »), c’est la capacité à recruter des imitatrices à travers une intensité particulière de chorégraphie qui valorise la réussite de la performance d’approvisionement des sources de nectar/pollen par effet réseau.
    ..méditons.. Merci pour cet article !

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